L’iconographie comme art liturgique

Notre évêque, Monseigneur Emmanuel, métropolite du Patriarcat de Constantinople, nous a demandé d’écrire cet article pour le calendrier liturgique de l’année 2012 :

« L’iconographie comme art liturgique »

"L’iconographie comme notre tradition le transmet, est un art qui découle directement de la vie liturgique. Comment cela-est-il advenu ? A partir de quand les chrétiens ont-ils conféré à cet art une place si importante ? Quelle est la place de cet t art dans la vie liturgique actuelle ?

Dès les premiers temps, les chrétiens ont exprimé par des symboles le contenu de leur foi sur les murs des maisons où ils se réunissaient. La mise en forme picturale des convictions profondes de l’homme remonte déjà à la période préhistorique. Le geste de vouloir marquer de son empreinte la matière est un geste d’affirmation de ses convictions. le fait d’exprimer par l’art le contenu de sa foi affirme l’engagement et la conviction.

il peut-être comparé au « Amen » ou au martyr de ceux qui n’ont pas renié leur foi malgré les tourments endurés. Ainsi l’art liturgique ne correspond pas à une simple représentation esthétique : il est une expression vivante de la foi.

Après les persécutions, dès le IVe siècle, l’art des chrétiens s’est répandu dans tout l’empire chrétien byzantin.

Il a intégré les formes antiques égyptiennes et romaines aux influences de l’Asie mineure. le message codé des catacombes est devenu, au fil des affirmations théologiques des grands conciles oecuméniques, un message universel basé sur le mystère de l’Incarnation.

L’image, traduction littérale du mot « icône », a été utilisé pour répandre « la Bonne Nouvelle » aux confins de l’univers.

Il n’y a jamais eu de séparation entre l’expérience de la liturgie et l’expression de cette expérience.

L’iconographie a découlé naturellement de l’expérience liturgique.

Elle est devenue un art spécifique, basé sur le témoignage de la vie liturgique. nous avons trop souvent tendance à penser que l’iconographie est un art réservé à des spécialistes, comme si l’activité liturgique était réservée à des personnes qualifiées. l’iconographie est l’affirmation de la foi de l’ensemble d’une communauté chrétienne. Il est évident que certaines personnes de cette communauté sont plus aptes que d’autres à peindre mais elles le font toujours au nom de celle-ci.

la vie liturgique est basée essentiellement sur la participation aux sacrements. Il s’agit pour les chrétiens de mettre en pratique cette participation sacramentelle dans leur vie. Cela nécessite une véritable transformation des habitudes, car la vie sacramentelle est une communion permanente à la Mort et à la Résurrection du Christ. Tous les efforts des chrétiens sont basés sur l’anticipation du Royaume de Dieu sur terre, sorte de parousie permanente. Cet état de sublimation et de transcendance se fait dans et par la vie sacramentelle.

L’iconographie témoigne de cet état de transformation de l’humanité : D’une condition de mort elle se revèt d’honneur de gloire indicible. les moyens techniques qui sont mis en œuvre pour exprimer cette nouvelle forme de vie glorieuse, sont ceux d’une expression métamorphosée de l’homme.

Ils prennent leur origine dans la matière « enhypostasiée » du corps de la nouvelle créature adamique.

C’est pourquoi, sur les icônes, nous retrouvons des corps démesurés, hors des « normes » de ce monde mais correspondant aux « normes » du Royaume. Ils s’allongent pour mieux donner naissance à l’élévation spirituelle ou au contraire, comme dans les traditions coptes, ils diminuent pour laisser plus de place au regard. les visages sont paisibles, lumineux et souvent marqués de compassion pour la création. les paysages sont composés de bâtiments dépassant les lois de la gravité, de montagnes perçant les cieux, de végétations inimaginables. la forme plastique de l’expression iconographique est provocante et rassurante à la fois : elle doit nous stimuler dans notre désir de ne pas nous confondre aux règles de ce monde et en même temps elle nous amène à accueillir la Paix dans notre cœur.

Rien n’est plus fort que l’image pour nous transmettre un message. l’Eglise, dans se grande sagesse, a su conserver ce moyen formidable d’évangélisation. la forme qui exprime cette Réalité Nouvelle de l’Evangile fait entièrement corps avec ce qu’elle représente. C’est pourquoi, pour exprimer la vérité, l’icône ne se munit pas d’artifice. Elle ne ment pas, ni dans ses moyens d’expression [1], c’est-à-dire par les matériaux qu’elle utilise, ni dans sa figuration eschatologique [2].

L’icône exprime la vérité du Royaume, celle de la participation physique de la créure au Créateur. En ce sens, elle exprime la plénitude de l’expérience liturgique et évangélique. la lumière est la base de sa couleur. les ocres sont les pigments les plus fréquemment utilisés. Ils matérialisent, comme l’or, cette nouvelle corporéité spirituelle.

L’église orthodoxe, de par son enracinement culturel, a su conserver la particularité de chacun des pays dans lesquels sa foi s’est répandue. C’est pourquoi les expressions artistiques liées à ces cultures ont toujours été conservé. De ce fait, tout en exprimant un message universel, les icônes grecques différent des icônes russes, de même que les icônes serbes, roumaines, bulgares etc…

De plus, les icônes de chaque pays ont également des particularités entre elles selon les régions, les écoles, les monastères et les paroisses. Il serait difficile de dresser un panorama de toutes les diversités et les richesses des particularismes de l’expression iconographique. ce qui est le plus frappant, c’est que cette dernière a toujours intégré les dons personnels au service de la transmission de message universel.

Ceci peut être considéré comme le signe éclatant de sa catholicité.

Il est nécessaire à notre époque de ne pas céder à la tentation de l’uniformité iconographique (comme liturgique d’ailleurs) ou de l’individualisme iconographique. l’enjeu des églises orthodoxes vivant dans des terres différentes de leur pays d’origine (non orthodoxes) est de fertiliser ces terres par la transmission de la richesse de sa tradition.

La présence en Occident de l’église orthodoxe n’est-elle pas une chance de redécouverte des traditions locales au regard de la Tradition universelle ? l’art roman, par exemple, témoin de la puissance théologique de l’expression artistique occidentale du moyen-âge, est un élément sur lequel l’on pourrait s’appuyer pour développer l’expression contemporaine du témoignage de l’orthodoxie occidentale.

L’icône du XXIe siècle ne peut être le témoin plus ou moins recomposé du style des écoles et des genres des époques du passé. Elle doit témoigner de la vie spirituelle et liturgique d’une foi ancrée dans une tradition locale et universelle actuelle. cela est la responsabilité de notre témoignage et l’effort que nous avons à l’exprimer.

la tradition liturgique des églises orthodoxes est la garante du langage plastique d’une foi commune originale et toujours contemporaine.

[1Les matériaux doivent être naturels (le bois, la colle de peau, la craie, les pigments, les minéraux, l’œuf, l’or) issus de la création.

[2Il ne doit pas se trouver dans les icônes de « faux marbres », de « trompes l’œil » ou de « natures mortes »

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